À Kayes, le combat contre l’excision et le mariage d’enfants est encore long

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Madame Diallo Fatoumanta Sangaré coordinatrice de l'AMSOPT à kayes

Les enquêtes démographiques de santé effectuées en 2013 font de Kayes, la région ou le taux de l’excision inquiète toujours. Selon ces enquêtes, l’excision est à 98% et les mariages d’enfants, à plus de 50%. En tête de toutes les régions du Mali, il y a eu malgré tout, une régression timide de « 0,3% de 2006 à 2013, et à peu près 5% de 2013 à 2019 » dans le cercle de Kayes qui compte 28 communes. Ces questions sont toujours considérées comme des sujets tabous dans notre société. Comment les communautés villageoises perçoivent-elles, ces phénomènes ? Et les causes ?

La coordinatrice locale de l’Association Malienne pour le Suivi et l’Orientation des Pratiques Traditionnelles (AMSOPT) de Kayes, au cours d’un entretien le mois dernier, est revenue sur ces pratiques. Madame Diallo Fatoumata Sangaré, une combattante convaincue acquise à la cause pour la défense des droits de la femme et des jeunes filles nous en dit plus,

Michel Yao : Comment se porte l’AMSOPT de Kayes ?

Madame Diallo Fatoumata Sangaré : Tant bien que mal, je dirais que l’AMSOPT se porte bien à Kayes. Nous sommes une vingtaine d’agents qui travaillons pour la promotion des droits humains et de la santé de la femme et des enfants, mais par manque de moyens financiers nous ne sommes que trois pour l’instant en attendant qu’il y ait des bailleurs. Il est aussi vrai que depuis un bout de temps certains bailleurs ont fui un peu la région ou le Mali en grosso modo. Nous menons des activités avec le peu de moyens que nous avons. Sur une dizaine de bailleurs, il ne reste plus qu’un seul qui nous soutient.

Parlant du mariage d’enfants, de l’excision et de la violence faite aux femmes, comment, est-ce que ces phénomènes sont perçus actuellement à Kayes, comparativement aux années antérieures ?

Il faut savoir que l’antenne de l’AMSOPT existe à Kayes depuis 2006, c’est-à-dire plus d’une dizaine d’années. De cette date à aujourd’hui, il y a eu beaucoup d’évolutions sur ces phénomènes. Ce n’est pas très visible, car ce sont des sujets très sensibles et un tabou  dans notre société que nous traitons au quotidien.Quand on prend par exemple la violence faite aux femmes, elle est surtout liée à l’excision, au  mariage d’enfants puis à la déscolarisation qui  fait trop de ravage au niveau de la santé des filles et des femmes .

Si nous comparons de l’année 2006 à maintenant dans nos zones d’interventions évaluées à plus de 300 villages, je puisse vous assurer que les communautés ont compris les conséquences et les dangers liés à ces pratiques. Sur ces 300 villages dont je vous parlais tout à l’heure il y a plus de 200 villages pilotes engagés à 100% pour la promotion des droits de la femme et leur santé à travers l’abandon de la pratique de l’excision, du mariage d’enfant etc. Grâce à nos actions, les parents scolarisent de plus en plus les filles à l’école et font les enregistrements à la naissance pour faciliter les actes de naissance. C’est dire que, il y a une grande évolution du niveau de compréhension chez ces communautés villageoises. En se fiant au statique national, il y a certes une régression un peu timide de 0,3% de 2006 à 2013, et de 20013 à 2019, une régression d’à peu près de 5% en précisant que nous évoluons seulement dans le cercle de Kayes qui compte 28 communes et pas dans les 7 cercles  que compte la région.

Les statistiques que vous venez d’avancer concernent lequel des phénomènes : mariage d’enfants, excision … ?

Ce dont je vous parlais à l’instant concerne surtout  l’excision, mais nous évoluons aussi avec le mariage d’enfants qui a les mêmes conséquences que l’excision. Partout où nous sommes passés, nous sensibilisons sur l’excision, le mariage d’enfants, la scolarisation des filles et l’enregistrement des enfants à la naissance. Dans tous ces cas, vous constaterez une régression de l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants mais un peu régressive par rapport à la scolarisation des filles.

Quelles sont les  activités que vous avez menez l’année dernière ?

En 2018, nous avons menés beaucoup d’acticités. Pour moi, toutes nos activités représentent des grands axes des objectifs que nous cherchons à atteindre .S’il y a un aspect sur lequel je veux insister ce sont les jeunes. Cela fait à peu près 2 ans que l’AMSOPT a focalisé sa stratégie sur les jeunes qui pour nous sont les futurs cadres de demain. Par cette stratégie, nous avons dans  un premier temps mis en place des clubs d’enfants dans les écoles ou nous travaillons et ces clubs ont beaucoup évolué auprès des élèves et des parents en termes de sensibilisation et de changement de comportement sur ces questions cruciales pour le bien-être des enfants. En plus des clubs d’enfants, nous avons identifié des jeunes filles et garçons qu’on appelle les champions dans la lutte contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF/excision) et les mariages d’enfants. A la date d’aujourd’hui, nous avons 20 champions que nous renforçons régulièrement les capacités sur les techniques de communication. Parlant toujours de 2018, nous avons réuni 120 communautés dont 80 se sont engagées officiellement devant les autorités nationales et régionales  pour l’abandon de l’excision et du mariage d’enfants.

Combien  de villages ou d’hameaux ont abandonné ces pratiques nuisibles pour la santé de la jeune fille ? Est-ce que les communautés qui  les abandonnent, la font en contrepartie de quelque chose, de façon volontaire, ou sont-elles contraintes?

Non pas du tout, ces communautés ne sont contraintes à rien et ne reçoivent rien en  échange  de l’abandon de ces vieilles pratiques. Elles ont juste compris les méfaits liés à l’excision et autres. Nous avons commencé la sensibilisation avec 20 villages, et aujourd’hui c’est plus de 200 villages et des gros hameaux dans lesquels nous travaillons. Récemment, nous avons enregistré  80 nouveaux villages qui ont décidé volontairement l’abandon des mutilations génitales, Avec ces nouveaux adhérents à l’abandon, nous comptabilisons 297 villages. Ces abandons n’ont jamais été en échange de quelque chose ou de contrainte de la part d’AMSOPT. Au contraire, nous obtenons ces résultats à cause de l’efficacité  du travail auprès de ces communautés sous aucune pression. Les communautés cibles ayant pris conscience de ce que nous leur disons à travers les problèmes de santé auxquels elles font face se rendent compte que ces vieilles pratiques qui pour certains sont des valeurs ancestrales sont dangereuses pour la santé des filles.

Comment savent-elles que ces complications de santé  sont liées  à l’excision par exemple ?

C’est vrai que nous ne sommes pas des agents de santé, mais les victimes sont pris en charges gratuitement par l’AMSOPT en les référant  à des agents de santé à qui de droit pour leur prise en charge et ce sont les médecins et les agents de santé qui certifient  leur problème de santé, lié à l’excision et au mariage d’enfants. C’est ainsi que les communautés ont compris les dangers et conséquences de ces pratiques veilles encrées dans nos coutumes.

Quel est le rôle que les autorités locales jouent à vos côtés pour ce combat ?

Nos autorités locales sont nos piliers et d’un apport capital dans tout ce que nous faisons. N’oubliez pas que nous sommes là pour  la mise en œuvre ou du moins appuyer un plan d’actions national de  lutte contre l’excision et le mariage d’enfants, de violences faites aux femmes déjà élaboré par le Gouvernement. Toutes nos visions sont en lien avec ce plan d’action national pour atteindre l’objectif commun qui est la promotion de la santé et le droit humain des femmes et des filles du Mali. Ceci dit, elles nous accompagnent sur le terrain pour faciliter la communication entre nous et les communautés lors des premières prises de contact car, leur voix porte. Lors des formations, nos autorités répondent présentes.

Y a-t-il des sanctions à l’encontre des personnes reconnues coupables de ces actes ?

Oui, il y a des sanctions qui existent, mais malheureusement au Mali, ces actes sont posées dans l’intimité familiale. Il est difficile de dénoncer ses propres parents (père et mère) pour des problèmes liés aux mariages d’enfants ou une grand-mère qui excise, car nous sommes une communauté très conservatrice en termes de normes sociales .Nous sommes beaucoup rattachés à nos traditions et cultures, c’est ce qui fait que souvent qu’on a des difficultés à pallier à certains problèmes. Mais malgré ces difficultés, nous avons eu à faire certaines prises en charge dans quelques rares fois au niveau de la police et du Tribunal pour les mariages d’enfants, mais au niveau de l’excision pas encore. Pour autant, les dispositifs 166, 167 et 171 du code pénal de 2001 prévoient  des sanctions pour coups et blessures volontaires en cas d’excision .Ceci dit, toutes celles qui viendront vers nous ou les services juridiques pour se plaindre d’avoir été excisées, sans pourtant qu’il y ait une loi au Mali, peuvent compter sur nous. L’instrument juridique est le code pénal de 2001 qui traite ces questions.

 Est-il arrivé une fois que des communautés ayant déclaré publiquement l’abandon de ces pratiques fassent volte-face ?

Oui nous avons eu ces cas, mais c’est rare. Comme vous le savez, dans toute chose, il y a des difficultés. Parfois, certains villages un peu mitigés abandonnent et reprennent sous l’influence des personnes mal intentionnées qui leurs mentent sur la réalité des conséquences de l’excision, mariages d’enfants etc. Grâce à nos missions de suivi, nous arrivons à maintenir ces villages à leur statut d’abandon, même si c’est difficile pour ces communautés villageoises. Il y a des villages, ou le chef  de villages s’engage pour l’abandon et vous trouverez souvent des religieux en dehors du village qui incitent à le faire en disant que, « c’est une pratique religieuse  qui doit se faire ». Et sur cette question, nous travaillons avec des religieux qui plaident vraiment pour l’abandon de ces pratiques pour le bien-être de la jeune fille.

Quel est le pourcentage actuel dans la région de Kayes par rapport à tous ces phénomènes en défaveur de la santé de la jeune fille ?

 L’enquête démographique de santé(EDS) qui se fait chaque trois ans dont la dernière remonte en 2013, mais surement une autre en cours, est de 98% par rapport à la pratique de l’excision et plus de 50% pour le mariage d’enfants. Il faut dire que malheureusement, Kayes est en tête de peloton sur ces pratiques devant les autres régions du Mali en dépassant de loin le niveau national.

 Madame la coordinatrice, merci de nous avoir accordé cette interview pour parler de la santé de la jeune, qui est aujourd’hui, un sujet préoccupant à tous les niveaux

C’est moi qui vous remercie pour l’intérêt que vous accordiez à la question et bon vent

Merci 

Source: benbere.Org

 

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